Samedi 20 de LolayaBonobo à Songololo
Une belle route à péage, mais pas pour les motos, qui serpente entre les collines verdoyantes. C ’est un peu les mêmes que dans le Pool, ce qui finalement n’est pas vraiment étonnant puisqu’on est plus ou moins en face mais sur l’autre rive du grand fleuve. De Kinshasa à Matadi, j’ai l’impression que c’est la seule route en bon état dans cet immense pays. J’ai fini par interrompre ma convalescence au paradis des grands singes. Ma petite fièvre permanente ressemblant plus à de la grippe qu’à du palu, plus rien ne pouvait empêcher mon départ, sinon bien sûr la seule envie de rester encore un peu plus longtemps. Mais hors du monde, il ne faut pas oublier qu’on m’attend plus loin, que j’ai pris des engagements voire presque des rencards, à Luanda. Je reprends donc la route en me demandant quelle sorte de maraboutage va me tomber dessus…je le sais, je le guette, il est comme ça ce voyage-ci, truffé de petites galères puis de surprises inattendues, ce qui, je vous l’accorde, est bien le propre des surprises. La moto tourne bien, elle fume un peu depuis Kinshasa, vu comme ça dans le rétro, à l’accélération, il y a même un petit côté vieille Kawa mach3…celle avec le moteur deux temps qui laissait toujours un traînée bleue derrière ses démarrages en wheeling forcené. Je me suis très vite rendu compte que mon nouveau djoudjou était là ; si je dois prévoir un litre d’huile tous les cents kilomètres, l’arrivée à Luanda ne sera pas simple…il reste encore cinq cent bornes de pistes et ce soir il pleut, il paraît qu’il n’avait pas flotté depuis quelques jours, c’est juste pour épicer la sauce !
Au carrefour de Songololo , là où on tourne à droite pour rejoindre la douane, j’ai demandé à des keufs jaunes et bleus, les playmobils de la circulation, où il y avait bien moyen de dormir dans cette toute petite bourgade à peine plus agitée qu’un village de brousse. Ils m’ont indiqué une mission où les gentils curés congolais ont l’habitude d’héberger les voyageurs de passage. C’est dans une grande piaule un peu austère mais bien calme et avec des vrais draps que je peux regarder mon pied gauche un peu gonflé en me demandant par quel sort farfelu, mon pied se met à gonfler alors que les bonobos ne m’ont mordu qu’aux avant-bras !
Dimanche 21 , de Songolo à Mbanza Congo
Ce matin est bien sûr un autre jour…mon pied est dégonflé, le curé en chef en est ravi, il me dit qu’il va prier pour moi, je lui dis juste de prier pour ma moto.
Je démarre, ça ne fume plus, en voilà de la prière efficace dis-donc…ça ne durera pas mais ça veut au moins dire que ce n’est ni un segment cassé, ni une soupape bloquée sinon ça fumerait tout le temps. Ce n’est pas pour ça que ma moto a retrouvé la fougue de sa jeunesse mais au moins, elle m’emmènera peut-être au bout de ce voyage, ce qui quelques heures plus tôt était bien loin d’être acquis, mais bon, je ne suis plus à une surprise près ! Quinze bornes de piste étroite m’emmèneront à la douane, sortie du Congo-entrée en Angola, c’est un peu lent, mais tout se passe avec flegme et courtoisie. Dans le nord de l’Angola, on est toujours au pays du Bacongo…on y parle encore le Lingala et beaucoup le Français, on est toujours dans les vertes collines, on ne change pas vraiment de pays. Il y a tellement de gens d’ici qui ont fui la guerre pour aller vivre à Kinshasa que je n’ai pas l’impression d’avoir vraiment changé de pays.
La piste est presque aussi pourrie qu’au Congo Brazza. Je retrouve les passages de flotte à peine moins profonds et ceux de boues bien corsés mais qui se passent finalement pas trop mal, merci le pneu chinois. En passant près d’un camion en panne, je me récupère un candidat pousseur qui se demandait justement combien de jours son transport allait mettre avant de redémarrer. Me revoilà avec un passager. Le calcul n’est pas simple ; évidemment, je récupère de la main d’oeuvre pour bourbier mais avec la surcharge, le risque de glissade visqueuse augmente très nettement.
Je le préviens quand même, mais il n’hésite pas une seconde. Il faut dire que les pannes de camion, en Afrique, ça peut durer facile au-delà de toute notion temporelle. Et me voilà comme au bon vieux temps du petit Francis, mais celui-ci n’a pas trop envie de se bouger dans les bourbiers, alors on se jette et si ça passe pas, on est bon pour l’exercice.
On arrivera à Mbanza Congo, première bourgade angolaise et c’est pas avec un nom pareil que je vais pouvoir enfin constater que j’ai changé de pays !
Je dépose mon passager un peu boueux et exténué dans sa famille et on m’indique un hôtel à côté. Un truc bien crado et bien bruyant mais j’ai quand même réussi à faire passer le tarif de vingt à dix dollars ce qui pour une geôle sans fenêtre à côté d’un groupe électrogène est déjà largement du surcoté pour Mundélé…y’a pas un souffle d’air, c’est un vrai sauna ma piaule et dehors, ça braille, ça essaye de parler plus fort que le groupe…c’est sûr que je vais très mal dormir et que demain, sur la piste, ça va être quelque chose.
Lundi, vingt deux
Les étapes et les circonstances qui y amènent ne sont vraiment jamais les mêmes. Me voici dans une salle de classe toute neuve et étonnement silencieuse au milieu de la brousse. Le gouvernement angolais construit partout des jolies écoles roses, il devrait peut être aussi faire quelques routes pour prévoir le ramassage scolaire. Je vais pas me plaindre, je suis bien dans ma classe au calme, mais bon, si la route avait été meilleure, je serais peut être aussi déjà à Luanda ! Ce matin, mon passager de la veille m’attendait devant l’hôtel pour savoir si je ne voulais pas l’emmener un peu plus loin. Après tout pourquoi pas... il voulait que je l’emmène chercher des papiers, je lui ai dit que bon, j’avais super mal dormi, qu’il fallait que je me trouve un vague petit déj avant de prendre la route, alors que, d’accord, je pouvais l’emmener mais qu’il aille faire ses courses tout seul et qu’il me rejoigne deux heures plus tard, le temps de manger, charger la bécane, trouver de l’essence… Deux heures après, il n’était pas là…à la station d’essence clandestine, en voilà un autre qui me demande pareil. Il y’en a de la demande pour cette route… allez, je t’embarque ; ouais, super mais y faut que je fasse un truc vite fait et je reviens…le truc à faire c’était tellement vite fait que j’ai fini par décoller tout seul. J’ai pas que ça à foutre non plus. Au début la route aurait presque eu l’air bonne, il y avait même suffisamment de vestiges d’un goudronnage lointain pour qu’on puisse presque atteindre un bon soixante à l’heure et puis les choses ont basculé. Des camions en rade partout, des bourbiers terribles, des zones de roches pleine de trous super raides, et moi , inexorablement, je progressais sans broncher . A chaque fois, je me disais que, non, là ça ne va pas passer, et pourtant si…avec le pneus chinois et l’embrayage en céramique , je les ai tous vaincus les bourbiers.
Après ça devenait plus sableux donc moins glissant, toujours avec des trous d’eau, mais ça je commence à connaître ; sauf qu’il suffit parfois d’un modèle un tout petit peu plus profond et voilà, c’est le plongeon, tout s’arrête.
Comme toujours dans ces cas-là, plein de gens on surgit de nulle part et on a poussé la bécane jusqu’au prochain village. J’ai démonté le moteur pour enlever l’eau qui était rentrée dedans et puis le chef du village m’a invité à partager son repas, du foie de phacochère avec du riz, je ne me suis resservi que de riz. Demain, je ne sais pas ce qu’il y aura au petit déj…je ne sais pas non plus si après remontage j’arriverai à redémarrer. C’est nouveau pour moi le moteur au court-bouillon, alors , je ne connais pas encore les conséquences, ça sera la surprise du jour…
Mardi vingt trois
Lever à l’aube, comme toujours dans les patelins de brousse . Laurenço, le chef du village est très prévenant à mon égard, je suis convié à chacun de ses repas et heureusement, le matin ce n’est plus du foie de phacochère.
Du pain, des cacahuètes fraîches et du manioc séché avec un p’tit café qui colle bien au palais comme on les fait si bien ici . Le programme du jour est simple, tout démonter, enlever l’eau et redémarrer. Facile à dire mais à la fin, malgré une étincelle aux bougies, on dirait bien que la pauv’ bécane a bien choisi de mourir ici. Pourtant les pistons avaient l’air bien et les soupapes aussi, je les ai réglées bien comme il faut, mais à l’arrivée, rien du tout…démarrage au pied bien sûr vu qu’un démarreur ça n’aime pas la plongée , mais compression zéro, rien, du tout mou. L’embrayage en céramique n’a pas aimé non plus, enfin bref, tout a l’air bien mal en point là dedans. J’ y croyais quand même, moi, je me souvenais d’un pote qui avait vu sa moto tomber de pirogue dans le Niger mais après repêchage et démontage, lui, il était reparti, c’était sans doute ça la force des bonnes vieilles Yamaha Ténéré…moi je ne suis pas reparti ; enfin pas en bécane…demain on change de rythme, douze bornes à pieds, pour aller dans un genre de petite ville essayer de trouver un moyen de transport…je crois que je ne suis pas encore arrivé à Luanda .
Mercredi vingt quatre
Ce matin, Laurenço est bien décidé à m’accompagner pour les douze bornes à pieds, il n’a pas du tout l’intention de laisser un hôte de son fief partir comme ça au petit matin. Cette nuit, il a hébergé un couple qui après le naufrage d’un minibus-taxi s’est déjà tapé une dizaine de kilomètres. On s’est enfilé tous ensemble quelques bouts bien coriaces du phacochère de la veille. On avait décidé de faire équipe avec le couple en perdition, mais Laurenço et ses administrés insistent vraiment pour qu’on essaye de démarrer la moto en poussant. Après tout pourquoi pas, moi je ne serai jamais qu’assis dessus !
Et la voilà qui démarre…je fais quelques centaines de mètres sans en revenir, l’embrayage, la boîte, tout fonctionne tant bien que mal. Mais il faut rester lucide, une moto qui ne démarre qu’avec la poussée d’un demi village de brousse ne peut pas m’être d’une terrible utilité le premier bourbier venu et comme hier, il y a eu une très grosse averse, la route est encore bien visqueuse. Mais Laurenço insiste, il a envie de son tour de moto . J’ avais passé la soirée à re-concevoir mon paquetage pour une nouvelles carrière de piéton mais il faut charger la bécane et sans illusion , prendre la route.
Je n’y crois pas trop, au premier bourbier, je tourne sur un cylindre mais mon passager tient à ce qu’on continue. Au troisième, je commence à m’embourber
Le moteur calle, on a fait trois kilomètres . Il faut se les retaper dans l’autre sens à la poussette, ça va nous faire digérer nos cafés-arachides du petit déj. Après les premiers milles mètres, on arrive à hauteur d’un bus en panne.
Ce n’est qu’une panne de gasoil, il a envoyé quelqu’un qui ne devrait d’ailleurs plus tarder chercher de quoi repartir. En attendant, on essaye de négocier avec deux véhicules déglingués qui passent, mais même pour quelques billets verts, ils ont peur de la surcharge. Le bus en attente de gasoil me propose de faire affaire. Il a perdu presque tous ses clients, me trimballer, lui, ça l’arrange plutôt.
Alors, on tape la main, et on attend ce fameux carburant qui n’arrivera jamais, sauf le vin de palme bien sûr ! C’est sans doute lui ce fameux secret, la réponse à ce mystère insondable, mais comment les Africains font t’ils pour attendre des jours à côté de leurs camions en panne ? Après une première journée pour rien, assis au bord de la route, je sais que rien ne serait possible sans ce breuvage parfois redoutable qui en plein cagnard, annule très vite le temps.
On ne se demande jamais vraiment ce qui se passe dans ces villages traversés, on ne cherche jamais à rentrer dans la vie de ces gens qui attendent à côté de leur camion en rade , maintenant, avec mon changement de rythme, je vais connaître ça aussi. Demain on aura peut être du carburant, puis on s’embourbera sans doute ou on cassera le moteur…un jour j’arriverai à Luanda, là-bas, au bout du monde, à deux cent trente bornes …